Prédire les ressources d’un hôpital et ses urgences – Interview d’Hugo Flayac, Head of research pour Calyps (2/2)

Photo de François Lo Presti/AFP: Dr. Antoine Maisonneuve au Centre Hospitalier de Valenciennes (CHV)

Dans notre précédent article, le docteur en physique quantique Hugo Flayac abordait la genèse du projet d’intelligence artificielle (IA) CalAI dédié aux prédictions des flux de personnes – patients, personnel médical, techniciens – en environnement hospitalier: nous y avons souligné la difficulté d’anticiper les urgences au sein d’un établissement comme le Centre Hospitalier de Valenciennes (CHV), où quelque 200 arrivées sont enregistrées chaque jour. Voyons à présent quels types de données et quelles technologies sont appliquées à la solution CalAI.

La mécanique du système

Contrairement ce que l’on pourrait penser, le système n’est pas une boîte noire, mais plutôt une suite de plusieurs modules où chacun fait sa part. Un module estimera le temps durant lequel le patient restera aux urgences, un autre prédira si le patient sera intégré à un autre service de l’hôpital ou s’il pourra quitter le CHV, etc. D’autres modèles calculeront le nombre de personnes admises aux urgences chaque jour, combien vont en sortir, ou encore la “tension”, c’est-à-dire le nombre de patients dans un service à un instant donné. Les données utilisées par le système sont de trois types: 

  1. les données spécifiques à un patient tels que l’âge, le poids, la taille, le diagnostic effectué à son arrivée, ses constantes vitales et plus encore
  2. les données volumétriques qui sont elles des séries temporelles indiquant, par exemple, le nombre de patients heure par heure aux urgences
  3. les données environnementales telles que les prévisions météorologiques autour du centre ou les événements majeurs dans la région

Au sujet des données environnementales, deux anecdotes méritent d’être soulignées:

  • les média sociaux n’ont pas eu d’impact significatif sur les prédictions données par CalAI, car peu utilisés à Valenciennes (ca. 45’000 habitants) et ses environs (aire urbaine inférieure à 400’000 habitants).
  • les rencontres jouées par le Valenciennes Football Club peuvent rassembler plus de 20’000 spectateurs au Stade du Hainaut. Chaque match amène son lot de blessés, dont cinq à dix arrivent aux urgences du CHV, de mémoire de médecin (!)

Pour les données spécifiques aux patients, les technologies utilisées pour les prédictions sont des réseaux de neurone standard dits “à propagation avant”, aussi appelés feedforward neural networks, ou fully-connected neural networks en anglais. Alors que pour les données volumétriques, il a fallu utiliser un autre type de réseau afin de prendre en compte la saisonnalité des données (i.e. il y a plus de monde le lundi que le reste de la semaine, un pic d’admission se fait ressentir entre 14h et 15h, les motifs des semaines se répètent, les motifs des saisons se répètent, etc.). Pour résoudre ce problème, Calyps utilise des réseaux neuronaux convolutifs, ou “CNN” pour convolutional neural networks. Ce type de réseau est inspiré du cortex visuel des animaux et a fait ses preuves dans l’analyse d’images ces dernières années.

COVID-19, la kryptonite des modèles d’IA 

Les algorithmes d’intelligence artificielle apprennent sur des données passées afin de “prédire” le futur. Plus il y a de données, plus le système a l’occasion de généraliser et trouver les règles implicites du monde dans lequel il joue. Un événement inattendu comme la pandémie actuelle a mis à mal le système CalAI qui n’avait jamais vu ça avant, et c’est compréhensible. “Le COVID-19, c’est la kryptonite des modèles d’IA !”, dit Hugo. Par contre le système peut désormais apprendre des données actuelles afin de prédire une crise future, jusqu’à un certain point. Au moment de poser la question fatidique à Hugo Flayac “Est-ce que l’IA peut prédire le futur ?”, sa réponse est catégorique : “En l’état actuel, notre IA prédit à partir des motifs du passé”. Et c’est justement un sujet de discussion au goût du jour chez les chercheurs experts en IA dans le monde.

La suite

Le système CalAI fait actuellement ses preuves au sein du CHV. Il pourrait être utilisé par d’autres grands centres hospitaliers en France ou en Suisse, dans le futur. La problématique de l’engorgement des urgences semble être généralisée en France, CalAI pourrait donc aider d’autres institutions dans l’hexagone. La problématique semble moins critique actuellement en Suisse, même si cette solution innovante suscite déjà l’intérêt d’hôpitaux ou de cliniques. Pour ces dernières, la planification des opérations ambulatoires est plus pertinente et d’autres pistes restent à explorer : par exemple, la codification médicale nécessaire à la facturation d’une opération pourrait bénéficier d’un codage automatique par CalAI. Autant de pain sur la planche de Monsieur Flayac. 

Un article co-écrit par Jacky Casas et Marco Brienza.

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